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Le Maroc : terre d'accueil multiconfessionnelle

 

 

 


Sommaire :

 


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En guise d'introduction
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En parlant du Maroc, feu SM Hassan II disait que c'est un arbre dont les racines plongent en Afrique et dont les branches s'épanouissent en Europe. Cette métaphore éclaire le fait que le Maroc par sa situation géographique et sa longue histoire, est un carrefour d'échanges; sa dimension horizontale est l'islam, et sa dimension verticale est l'Afrique et l'Europe. C'est un pays qui, depuis la nuit des temps, a toujours essayé de cultiver sa spécificité. En effet, "dès l'Antiquité, le Maroc se distingue d'une Africa (Est algérien, Tunisie, Tripolitaine) plus touchée par un apport punique surtout culturel et une colonisation agraire romaine non peuplante mais déstructurante (1)".

Cette singularité se confirmera tout au long de son histoire : Quand la conquête arabe , au milieu du septième siècle a entraîné une situation nouvelle pour toute l'Afrique du Nord - qui a retrouvé un lien avec le Moyen-Orient, notamment par l'islam et la langue arabe -, le Maroc ne s'était pas intégré aux nouvelles structures mises en place par les empires omayyade, abbasside ou ottoman. Après la reconquête de l'Espagne par les rois catholiques, l'immigration andalouse profitera davantage au Maroc qu'aux autres pays d'Afrique du Nord.

Après l'indépendance, dans les années 60, il était de bon ton, dans les pays du Tiers-Monde, d'être socialiste, avec une économie dirigiste orientée vers l'industrie lourde et un parti unique. Le choix du Maroc s'inscrivit dans le libéralisme économique, l'investissement dans l'agriculture et le multipartisme politique. Ce bref survol de l'histoire donne déjà l'image de "l'exception marocaine", celle d'un pays qui, tout en partageant certaines références avec l'ensemble auquel il appartient, garde une certaine liberté quant à la manière de gérer son destin.

Aussi loin que l'on puisse se souvenir, le Maroc a toujours eu des relations avec divers peuples et civilisations. C'est ainsi que la ville de Liks qui deviendra Lixus, au nord du Maroc, a été créée par les Phéniciens en 1100 avant JC, bien avant la fondation de Carthage (814). Les Berbères, premiers habitants de l'Afrique du Nord, commercèrent avec les Phéniciens et échangèrent avec eux pendant quelques siècles.

Après la destruction de Carthage (146), l'influence romaine s'étendit à toute l'Afrique du Nord, et ce, pendant quatre siècles. Cette influence romaine ne se manifeste pas uniquement au niveau des ruines, mais également au niveau du vocabulaire agricole, par exemple. Le christianisme se développa particulièrement durant le IIè siècle.

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Les chrétiens
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Il est intéressant de consacrer quelques instants pour évoquer des repères concernant la présence chrétienne au Maroc (2). A l'époque romaine, des chrétiens sont présents en Maurétanie Tingitane, c'est-à-dire en gros, le Maroc actuel. On recense 16 évêchés situés dans les principales régions du Maroc romain : Tingis (Tanger), Septem (Ceuta), Lixus (Larache), Tamuda (Tétouan), Russaddir (Mélila) etc. Volubilis porte le témoignage d'inscriptions funéraires, de traces de lieux de culte, de mosaïques... Il existe même des récits de martyres comme celui du Centurion Marcel à Tanger au IIIè siècle ou celui de Gassien au IVè siècle.

L'empire byzantin permit à certaines communautés chrétiennes de connaître une grande vitalité, particulièrement à Ceuta.

Lors de la pénétration musulmane durant la période idrisside (VIII au X siècles), les communautés chrétiennes se réduisirent progressivement.

L'époque almoravide (1053-1125) connut d'incessants échanges avec la péninsule ibérique et des chrétiens arrivèrent soit comme captifs placés sous la protection du sultan, soit comme milice chrétienne à son service. Il est à noter que ces chrétiens pratiquaient librement leur religion.

La période almohade (1125-1275) voit le nombre de chrétiens augmenter : outre les captifs militaires, il y a également des commerçants. En 1198, le pape Innocent III écrit au sultan Mohammad Al-Nasir pour lui recommander une mission de Frères Trinitaires en déplacement pour racheter des captifs. Cette période est caractérisée par une cohabitation pacifique entre les chrétiens installés au Maroc et les populations musulmanes. C'est ce qui encouragea le pape Honorius III à confier à l'Archevêque de Tolède la communauté chrétienne du Maroc. Celui-ci consacra, en 1226, le Frère Agnello évêque de Fès dont l'autorité s'étendra plus tard jusqu'à Marrakech.

Sous le règne d'al-Mamoun (1229-1232), les troupes du sultan atteignirent 12000 soldats chrétiens dépêchés par le Roi de Castille. Ces soldats disposent d'une église à Marrakech (Sainte-Marie) dirigée par des Prêtres Fransiscains. Etant donné le climat de confiance établi à l'époque, le pape Innocent IV s'adresse au sultan Abou al-Hassan al-Saîd pour lui demander d'être attentif à la pratique religieuse de cette milice. Par la suite et jusqu'au XVIIè siècle, beaucoup d'évêques furent consacrés au titre des diocèses de Marrakech, Fès, Salé.

Il est évident qu'avec la pression militaire et politique exercée sur le Maroc à la suite de la Reconquista, la situation des chrétiens résidant au Maroc devient de plus en plus difficile.

Le sultan Moulay Ismaïl, grand artisan de la consolidation de la dynastie alaouite, autorise les Fransiscains à vivre auprès des captifs chrétiens dans leurs prisons afin d'alléger leurs souffrances. Quand ils le pouvaient, ces religieux rachetaient les captifs. Plus tard, les Fransiscains furent autorisés à habiter des maisons particulières et à disposer de lieux spécifiques pour le culte chrétien. Ces lieux étaient ouverts aux chrétiens libres qui étaient au service du sultan ou tenaient commerce dans le pays. Ils reçurent également l'autorisation d'ouvrir un hôpital dans la capitale de l'empire, Meknès, où chrétiens et musulmans étaient soignés.

Il est à remarquer l'action du sultan Mohammad III (1757-1790) qui, avec l'aide des Fransiscains, œuvra auprès des souverains européens pour supprimer la course et donc la présence des captifs chrétiens au Maroc et musulmans en Europe. Face à cette action, les souverains européens étaient souvent réticents.

Avec la guerre hispano-marocaine (1873-1894), la colonisation se précisa davantage. Le sultan Hassan Ier (1873-1894), profitant du jubilé du Pape Léon XIII en 1888, lui envoya une délégation pour le féliciter et pour lui demander également d'intervenir en faveur du Maroc auprès des puissances chrétiennes menaçantes. Cette délégation était accompagnée par le Père Lerchundi (3), savant arabisant et jouissant de la confiance du sultan. Cette démarche resta sans effet sur un processus qui était déjà en marche depuis longtemps. C'est ainsi qu'un Protectorat s'établit au Maroc et beaucoup de chrétiens vinrent s'installer au Maroc.

En 1908, le Vicariat apostolique du Maroc est crée avec Tanger comme siège. En 1923, il est divisé en deux parties correspondant aux zones de protectorat espagnol (Tanger) et français (Rabat). Ces deux villes deviendront Evêchés puis Archevêchés.

En 1976, des relations diplomatiques sont établies entre le Royaume du Maroc et le Saint-Siège. Le 2 avril 1980, feu SM le Roi Hassan II se déplace au Vatican pour rendre visite à Sa Sainteté le Pape Jean-Paul II. C'est à cette occasion qui' il l'invite à visiter le Maroc. Dans une lettre adressée le 30 décembre 1983 à sa Sainteté le Pape, le roi du Maroc accorde à l'Église catholique un statut juridique.

Au-delà de ce bref rappel historique, il faut noter que la Maroc a accueilli plusieurs confessions et qu'il pratique un islam modéré, ouvert et respectueux des autres traditions. C'est un sujet de fierté que de constater que le développement du christianisme en Afrique du Nord est dû à Saint Augustin (354-430), dont la conversion eut des conséquences incalculables sur le cours de la théologie chrétienne et de la culture européenne. C'est également un autre sujet de fierté que de mentionner qu'un Berbère devint Evêque et a exercé une profonde influence sur le Moyen Age et a fasciné les esprits des Réformateurs du XVIè siècle. En sa personne, les Berbères furent associés à l'élaboration de la théologie chrétienne.

Cette terre qui a accueilli le judaïsme et la chrétienté, c'est-à-dire qui donné naissance à une société pluraliste, trouva dans l'avènement de l'islam un phénomène normal, comme une continuation des deux précédents monothéismes. En embrassant l'islam, les Berbères y trouvèrent les raisons de continuer à vivre paisiblement avec les autres.

Plus tard, quand l'islam fut définitivement établi, les penseurs marocains continuèrent les travaux de leurs prédécesseurs au Mashriq, ils devaient faire face aux mêmes interrogations, et en particulier, la question de l'harmonie entre la religion et la philosophie ou l'interaction entre le dogme et la raison. Il faut rappeler que cette problématique remonte déjà à Philon d'Alexandrie. Chez les penseurs marocains d'Ibn Bajja ( Avempace, mort en 1138) jusqu'à Ibn Khaldoun (mort en 1406) en passant par Moussa Ibn Maïmoun (Maïmonide), les préoccupations sont pratiquement les mêmes : ils ont tous eu à traiter de la philosophie grecque et des religions du Livre. Le cas de Maïmonide (mort en 1204 au Caire) est intéressant pour un musulman, car il s'agit d'un penseur juif, certes, mais de culture arabe et de dimension universelle. Il a rédigé son chef-d'œuvre, le Guide des Egarés en arabe, a vécu en terre d'islam et a affronté des questions d'herméneutique que rencontre toute conscience religieuse: comment appréhender le mystère : mystère de l'Être (Dieu), mystère de la Création, mystère de l'homme et de sa destinée. Ce penseur universel dépasse l'ostracisme dans lequel certains semblent se complaire et traduit la symbiose des deux cultures. Il faudrait également citer deux autres penseurs qui ont marqué leur époque dans le sens du dialogue des cultures et de la coexistence entre les peuples. Il s'agit d'Ibn Rushd et d'Ibn Sab'in.

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Ibn Rushd
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Ibn Rushd (1126-1198) connu sous le nom d'Averroès chez les latins est l'un des penseurs majeurs de l'islam, il est communément appelé LE Commentateur d'Aristote. Par rapport à la philosophie du Mashriq, développée par al-Farabi et Ibn Sina, où domine largement le néoplatonisme caractérisé par l'Un d'où découle un univers clos de processions, la philosophie d'Ibn Rushd est ouverte et fait éclater les limites d'un rationalisme étroit. Là également, on peut se rendre compte de la spécificité du Maroc. Au-delà de son style sévère, on sent, comme le souligne R. Arnaldez " frémir le drame vécu d'une pensée authentique, drame que St Thomas d'Aquin devait sentir quand il disait, en songeant au "Commentator " : Haec questio praeclara ingenia torsit ( cette question a torturé des esprits éminents). (4)"

Ce qui est intéressant chez Ibn Rushd, ce ne sont pas ses commentaires d'Aristote, d'autres l'ont fait avant lui, mais plutôt sa rencontre avec le sultan Abu Ya'kub Yusuf, probablement en 1169. L'historien marocain Al-Marrakushi (5) traça le portrait du sultan comme un prince éclairé et un généreux mécène pour les sciences et qui montrait un réel intérêt pour la philosophie. C'est donc lui qui demanda au Cadi Ibn Rushd de commenter les œuvres du Stagirite parce que son expression n'est pas claire. Il est donc frappant de constater que c'est sur la demande du sultan qu'Ibn Rushd a relevé le défi de réaliser ses commentaires. Son approche d'Aristote est à l'origine de la renaissance de la philosophie grecque en Europe, à la fin du XIIè siècle. Il est très connu chez les Juifs et les Chrétiens, et on peut dire que ses commentaires sont devenus une part de l'héritage aristotélicien de l'Europe (6). Il est assez surprenant de constater qu'Ibn Rushd n'a pas laissé de postérité en islam, mais qu'il a laissé beaucoup d'adeptes en Europe médiévale, ne serait-ce que ceux qui ont participé au vif débat entre averroïstes et avicennistes.

La deuxième figure que je voudrais mentionner est celle d'Ibn Sab'in (mort en 1270) et qui était un grand maître soufi. Il s'était chargé de répondre aux questions adressées par l'empereur Frédéric II de Sicile (7) aux savants musulmans. Ces questions portent sur :

•  l'existence du monde ab aeterno;
•  les prémisses et l'essence de la théologie;
•  questions concernant la logique et le savoir;
•  la nature de l'âme et sa relation avec ces questions
•  les divergences entre Aristote et son commentateur Alexandre d'Aphrodisias (8).

Ces questions étaient disputées avec enthousiasme dans le pourtour de la Méditerranée. L'importance de cet échange réside dans la personnalité de l'auteur aussi bien que dans les qualités de celui qui répond. Nous avons là un moment historique qui atteint la valeur d'un symbole dans les échanges spirituels entre l'Orient et l'Occident (9). Ces penseurs marocains et bien d'autres parmi leurs compatriotes ont été le trait d'union entre ces deux mondes et ont ainsi contribué à enraciner le Maroc dans la tradition du dialogue et de l'ouverture.

En effet, si "l'Andalousie est la séduction de l'Espagne (10)", elle n'en demeure pas moins l'âge d'or de la coexistence harmonieuse entre tous les fils d'Abraham. Elle témoigne également que l'histoire des rapports entre Chrétiens et Musulmans ne se réduit pas à celle d'une longue croisade. Il est remarquable que la rencontre en Andalousie " de l'Orient et de l'Occident et la tolérance accordée pendant des siècles aux minorités religieuses se traduisent par la naissance d'une civilisation hispano-arabe, caractéristique de " l'Islam d'Occident " et héritière d'une partie du legs intellectuel de l'Antiquité (11)". C'est la symbiose réalisée entre musulmans, juifs et chrétiens.

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Les Juifs
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L'établissement des Juifs au Maroc remonte, d'après certaines légendes, au Roi Salomon et les rattachent aux "Tribus Perdues d'Israël". D'autres hypothèses affirment que "les Juifs d'Afrique du Nord ... sont les descendants, pour la plupart, de Berbères convertis au judaïsme (12)". Il n'est pas question ici de tracer cette histoire, mais de rappeler que la présence juive au Maroc est bimillénaire, c'est dire qu'elle est plus ancienne que la présence musulmane. L'une des explications de la longue cohabitation entre Juifs et Musulmans du Maroc c'est que les deux communautés ont développé une forme de complémentarité et un modus vivendi qui leur ont permis, au-delà des vicissitudes de l'histoire, de forger une conscience d'appartenance commune à un même pays.

Certes, on peut argumenter qu'à telle époque, les Juifs ont été maltraités et revenir sur la période almohade, par exemple, où le Maroc a connu une période de durcissement. Simon Lévy note qu'à propos du "marranisme" de Maïmonide, "la réalité historique est plus complexe" et que cette période "demande à être nuancée, et replacée dans le parcours d'une histoire bimillénaire, comme dans les conditions concrètes de l'époque (13)". Il faut prendre en considération la perspective de la longue histoire du judaïsme marocain, et apporter le rééquilibrage de l'évolution historique. En effet, si "la période almohade n'a certainement pas été une période heureuse pour les juifs du Maroc. Cette période ne l'a pas été pour beaucoup d'autres Marocains... (14)". D'une manière générale, quand le contexte local est difficile et que le pays connaît la famine, la sécheresse, les épidémies, l'insécurité, etc. l'existence et les conditions de vie deviennent moins roses pour tout le monde, et plus particulièrement pour ceux qui sont les plus démunis; l'appartenance religieuse ou ethnique ne protège pas de la précarité, et les relations intercommunautaires s'en ressentent.

En tout état de cause, il ne s'agit pas d'argumenter et encore moins de polémiquer, mais d'expliquer et de comprendre en vue de cultiver ce que Lévi-Strauss appelle les " fleurs fragiles de la différence".

Il suffit de rappeler que Maïmonide, réfugié à Fès entre 1159 et 1165, incité par son collègue musulman Ibn Rushd à une conversion de façade, fut étonné de la facilité avec laquelle on peut leurrer Ibn Tumart et continuer à pratiquer sa propre religion. Dans sa Lettre aux Apostats, il écrit : "on n'a jamais vu une persécution aussi merveilleuse, où l'on ne vous impose que des paroles (15)."

Par ailleurs, il faut noter que grâce à la pensée de Maïmonide "le judaïsme marocain a conforté des traditions de bon sens, de libéralisme ouvert, étranger au fanatisme. Il s'inscrit ainsi dans l'héritage culturel des grands siècles de la civilisation arabe, au sein de laquelle une pensée juive originale, a été fécondée à Kairouan, à Fès et en Andalousie. (16)"

Il faut signaler que les communautés juives du Maroc peuvent être classées en deux grands groupes : les Tochavim ou Juifs autochtones et les Meghorashim ou expulsés de la Péninsule Ibérique (17). Sans entrer dans les détails concernant ces groupes ethniques, il faut noter que ce judaïsme est autochtone, c'est-à-dire produit du Maroc où il a vu le jour, où il s'est développé durant deux millénaires " cultivant avec l'environnement, dans l'intimité du langage et l'analogie des structures mentales, une solidarité active, une dose non négligeable de symbiotisme, voire de syncrétisme religieux (18)".

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De l'Islam marocain ou " Islam d'Occident "
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Le Maroc, de par sa longue histoire, avait connu, de fait, le pluralisme avant de connaître l'Islam. Celui-ci, très tôt, s'est trouvé confronté à la question du pluralisme religieux. En outre, depuis très longtemps, la société musulmane avait pratiqué la mixité entre musulmans, juifs et chrétiens, et parfois même au sein d'une même famille, puisque le Coran autorise les musulmans à épouser une femme appartenant aux "gens du Livre (19)". En outre, il est permis aux musulmans de se mêler aux non- musulmans, comme il est également permit à ceux-ci de s'installer en pays musulman. Il n'y a rien donc qui préconise un habitat séparé.

Sur le plan religieux, les marocains n'avaient pas à faire un effort particulier pour s'ouvrir aux autres. Le contexte historique et social ne se trouve pas simplement en conformité avec les données scripturaires, mais celles-ci le corroborent. Il est important de remarquer que le contexte social devançait le contexte religieux. C'est donc de fait que le Maroc est un État pluraliste dans lequel tout citoyen, de quelle religion qu'il soit, peut avoir accès à n'importe quelle fonction politique, militaire ou administrative.

Il faut rappeler que le Maroc pratique un islam ouvert fondé sur le Coran et la Sunna (tradition du Prophète). On peut interroger ces sources pour trouver de nombreux textes et témoignages qui recommandent l'amour du prochain et reconnaissent la citoyenneté aux non-musulmans dans la société islamique.

C'est ainsi que la dignité de l'homme est une valeur fondamentale affirmée par maints textes coraniques: " Nous avons ennobli les fils d'Adam... Nous leur avons donné la préférence sur beaucoup de ceux que nous avons créés " (17, 70). Il s'agit d'un honneur et d'une préférence accordés à tous les hommes sans distinction de peuple, de race ou de religion. Depuis une origine transhistorique, le Coran définit le statut de la personne en tant que personne humaine, jouissant d'une noblesse ontologique, doublée d'une préférence divine par rapport aux autres créatures. La défense de cette dignité est un devoir essentiel dans la société islamique, car l'homme est un lieutenant de Dieu sur terre (20). Nous appartenons tous à la communauté des hommes, afin de réaliser la coopération et la fraternité entre les peuples. La diversité des croyances, des langues et des couleurs, loin de constituer un obstacle, sont des signes à déchiffrer comme richesse de l'humanité (21).

A partir de l'affirmation coranique : " Les croyants sont frères " (49, 10), on trouve de nombreux hadith qui incitent les fidèles à vivre des relations fraternelles, faites d'amitié, de charité et d'affection (22).

Dans un hadith , il est clairement stipulé : " si quelqu'un traite injustement un allié (mu' ª hid) ou lui diminue (son salaire)... C'est moi qui plaiderai contre lui (23)". Un autre texte appelé la "Sa h ifa" - connu sous le nom de Constitution de Médine (24)- définit les rapports avec les "autres" et en accord avec eux . Il est frappant de signaler que déjà à l'époque, il est affirmé que les musulmans et les autres constituent "une seule communauté ". Quels sont les termes des accords de Médine ?

" Si quelqu'un parmi les juifs nous suit, il a le droit à la même aide, au même appui (que les musulmans)... Les juifs supportent les frais de la guerre en même temps que les musulmans, aussi longtemps qu'ils demeurent en guerre... Que les juifs aient leur religion et que les musulmans aient la leur, (cela s'applique) aussi bien à leurs clients qu'à eux-mêmes... C'est aux juifs de supporter leurs dépenses et aux musulmans de supporter les leurs. Parmi eux, il y a de l'entraide contre quiconque entre en guerre avec le peuple de ce document. Entre eux existe une amitié sincère et non la trahison." Il est donc évident, d'après ce document, que les juifs jouissent de l'entière citoyenneté et pratiquent leur religion librement. Les rapports sont fondés sur l'entraide mutuelle et l'amitié sincère.

Pour tous les juristes musulmans, s'agissant des scripturaires, ils affirment clairement que "leur sang est comme le nôtre, qu'ils ont les mêmes droits et les mêmes devoirs que nous". Cette attitude trouve son fondement dans le fait que la mission des musulmans sur terre est de réaliser "l'équité" (25), avec toutes ses exigences de justice sociale, politique et de droiture dans les rapports avec les autres. On ne peut, bien sûr, que déplorer les mauvaises pratiques qui ont prévalu ici et là et qui ont occulté ces nobles principes. On sait très bien qu'il y a toujours un décalage entre la théorie et la pratique. Il faut néanmoins rappeler que l'expression " gens de la dimma" a été supprimée du corpus législatif du monde arabe, depuis la promulgation de la première Constitution ottomane en 1876. Celle-ci affirmait le principe de l'égalité de tous les droits et devoirs pour tous les citoyens, sans considération de religion.

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Mohammed V : " Une histoire d'amour "
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Ces principes ont été généralement observés au Maroc. La dynastie alaouite veillait à leur application depuis sa fondation par Moulay Rachid (1664-1672), surnommé "l'ami des juifs". Le sultan Sidi Mohammed est précisément adulé par les juifs marocains du fait qu'il n'a jamais accepté qu'une partie de ses sujets soit dominée par qui que ce soit. Il aimait à rappeler l'attitude de son glorieux ancêtre Moulay Hassan : " Consultez vos vieillards et vous apprendrez que mon illustre ancêtre, Moulay Hassan, fut un vrai ami des juifs, et qu'il a manifesté à maintes reprises une nette sollicitude à leur égard. Vos ancêtres l'ont connu sous cet aspect et l'ont aimé sincèrement. Je puis vous assurer que, de mon côté, j'entends conserver vis-à-vis de vous et de vos coreligionnaires la même considération et vous faire bénéficier de la même sollicitude (26)".

Même sans réel pouvoir face à la Résidence, le sultan Mohammed Ben Youssef refusa d'appliquer les lois racistes de Vichy à ses sujets juifs, alors qu'il avait signé - malgré lui - le dahir de leur application. Pour montrer davantage son désaccord avec ces lois racistes, il reçoit les représentants des communautés juives et leur affirme que le statut n'affecte en rien ses relations avec ses sujets juifs qui demeurent ses protégés, tout comme les musulmans. La nouvelle ne tarde pas à parvenir à la Résidence qui réagit vivement et considère cette position comme un acte de dissidence. Cette information est datée du 24 mai 1941, dans une dépêche de Roger Touraine correspondant de l'Agence française d'information. Ce document a été présenté pour la première fois par Haïm Zafrani, en décembre 1985, devant l'Académie du Royaume du Maroc.

Cette dépêche mentionne que les rapports entre le sultan du Maroc et les autorités françaises sont tendues depuis que la Résidence a décidé d'appliquer " les mesures contre les juifs ", et ce malgré l'opposition formelle du sultan. En effet, celui-ci refuse de faire une différence entre ses sujets qui sont tous "loyaux". Un autre pas est franchi quand le sultan, à l'occasion de la fête du Trône, invite les officiels français, les personnalités musulmanes et pour la première fois, les représentants de la communauté israélite qu'il place ostensiblement a coté des officiels français. Ceux-ci ne se sont pas gênés pour signifier leur étonnement à l'invitation de juifs. Le sultan s'empresse, alors, de déclarer : " Je n'approuve nullement les nouvelles lois antisémites et je refuse de m'associer à une mesure que je désapprouve. Je tiens à vous informer que comme par le passé, les Israélites restent sous ma protection, et refuse qu'aucune distinction soit faite entre mes sujets. (27)"

Cette déclaration est passée presque inaperçue, car la censure militaire avait refusé sa publication. Mais son contenu est divulgué en Grande Bretagne et en France. Le 29 mai 1941, un rapport des Services généraux de Vichy en fait état : " On prétend à Vichy, sur la foi d'informations de source anglaise, que le sultan du Maroc s'est refusé à appliquer la législation française antijuive sous prétexte qu'il ne voyait aucune différence de loyalisme chez ses sujets. On loue le bon sens du souverain et on déclare ouvertement que le gouvernement français pourrait lui demander une leçon de tolérance. (28) " Voilà donc le Maroc qui dispense une leçon d'humanisme à l'ancienne patrie de la liberté, de l'égalité, et de la fraternité. Combien de responsables politiques de l'époque peuvent-ils se targuer d'avoir manifesté un tel courage?

En mars 41, lors de la création d'un Commissariat général aux Questions juives, avec à sa tête, Xavier Vallat, un antisémite notoire qui se définissait comme le "chirurgien" chargé de débarrasser la société française de la "tumeur cancéreuse juive", les juifs, paniqués par l'entrée en application des lois du second statut, adressent une supplique au résident Noguès dans laquelle ils lui rappellent que "la tradition musulmane s'est, en effet, toujours honorée de protéger les juifs et les souverains marocains n'y ont jamais failli (29)". Noguès, sensible à cette supplique, demande à Vichy de considérer la particularité marocaine lors de l'application de ce nouveau texte. Cette démarche demeura vaine puisque les juifs apprennent avec stupéfaction que le nouveau statut leur est appliqué.

Il faut remarquer que dans cette douloureuse épreuve qui s'abat sur leurs compatriotes, les musulmans, malgré une propagande raciste martelée par Radio-Berlin, sont restés, dans leur immense majorité, à l'écoute du Palais et font la sourde oreille à une invite pernicieuse des Européens " à régler les comptes, en toute impunité, avec les juifs". Comme le note R. Assaraf, " aucun incident notable n'est, d'ailleurs, venu troubler la quiétude des relations judéo-musulmanes." Même l'Agence juive de Jérusalem dans un rapport de 1943, rend hommage à la sagesse des musulmans :" La population musulmane, dans la période de Vichy, n'a pas tendu l'oreille, dans sa majorité à la propagande quotidienne de la radio, dans la presse, dans les conversations privées, appelant à la persécution des juifs. Les bons musulmans savent que la tolérance est le message du Coran et que les sultans se sont toujours montrés bienveillants pour les juifs. (30)"

Les relations qui se nouent alors entre le sultan et la communauté juive sont d'une nature peu ordinaire, sinon quasi-mystiques et relevant, en tout cas, du surnaturel. Complètement démunis face à leur malheur, les juifs se tournent une nouvelle fois vers le Palais; le sultan, totalement impuissant, ne peut que réitérer sa condamnation des mesures discriminatoires et essaie d'en atténuer le poids. Mais les juifs sont tellement confiants dans leur Souverain, qu'ils lui accordent les pouvoirs qui lui font défaut. C'est ainsi qu'ils sont persuadés que s'ils ne portent pas l'étoile jaune à l'instar de leurs coreligionnaires d'Europe, c'est grâce à l'intervention du sultan, alors qu'il n'en a jamais été question. Tous les Mellahs se font alors l'écho de la discussion qui aurait eu lieu entre le sultan et le résident à propos du port de l'étoile jaune par les juifs marocains. Comme le sultan demande au résident combien d'étoiles jaunes il compte confectionner, celui-ci lui répond:

- 200 000, exactement. Autant que de juifs marocains.
- Vous veillerez, lui aurait dit Sidi Mohammed, à en fabriquer une vingtaine de plus.
- Pourquoi donc ?
- Mais pour moi et ma famille (31)".

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Exil de Mohammed V
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Même dans son exil lointain, Sidi Mohammed, bien qu'interdit de politique, continuaient à penser à son peuple. C'est ainsi qu'après l'intronisation de Ben Arafa, les nationalistes ne désarmèrent pas et la situation devenait de plus en plus difficile pour la France. Avec sa pondération légendaire, Sidi Mohammed, pour aider à débloquer la situation, autorisa le fidèle Si Bekkaï à proposer à la France la constitution d'un Conseil de régence comprenant quatre membres dont un ... juif. Dans une conversation du 21 juillet 1954, rapportée par Félix Nataf, celui-ci note l'inconstitutionnalité de la proposition : " Je le remerciais d'avoir voulu me donner la primeur d'une nouvelle aussi importante et le félicitais d'avoir surmonté son intransigeance et fait preuve de conciliation pour faciliter une solution dans l'intérêt du pays. J'ajoutai que l'idée d'associer un israélite au conseil de régence témoignait de son esprit démocratique et de large tolérance, mais qu'il me paraissait impossible de nommer un régent non musulman au sein du Conseil qui devait provisoirement représenter un souverain qui était à la fois chef politique et religieux (32)".

Quand une ordonnance du 15 mars 1943 met fin à la législation antijuive en Afrique du Nord et au Maroc, on pouvait espérer une réelle harmonie entre les deux communautés au Maroc, mais c'était compter sans le poids des événements extérieurs qui ont fait pesé de lourdes menaces sur les relations judéo-arabes au Maroc. Signalons le partage de la Palestine, le détournement de l'avion de Royal Air Maroc, le 26 octobre 1956, avec à son bord Ben Bella et ses quatre compagnons, alors qu'il se rendait à Tunis pour rejoindre Sidi Mohammed et le président Bourguiba pour une conférence sur le Maghreb, la guerre de Suez, quand le 28 octobre 1956, l'armée israélienne, soutenue par la Grande Bretagne et la France, envahit le Sinaï, et enfin, l'adhésion du Maroc à la Ligue arabe en 1958 qui marquera un tournant décisif pour l'avenir des juifs marocains, d'autant plus que la liaison postale entre le Maroc et Israël est interrompue .

C'est ainsi que lorsque les Nations Unies adoptèrent la résolution de partage de la Palestine le 29 octobre 1947, ceci provoqua une grande colère aussi bien dans le monde arabe qu'au Maroc. Là encore, la sagesse et la perspicacité de Sidi Mohammed furent mises à l'œuvre en vue de préserver le Maroc des passions qui soulevèrent le Proche Orient et de sauvegarder l'entente et l'harmonie entre juifs et musulmans. Fidèle à sa ligne de conduite, il s'adresse aux musulmans, en affirmant " qu'il n'établit aucune distinction entre ses sujets juifs et ses sujets musulmans, tous également loyaux" et exhorte les juifs " à persévérer dans la voie qui fut celle de [leurs] ancêtres et à travailler avec [leurs] frères musulmans, la main dans la main". Le mouvement nationaliste ( parti de l' Istiqlal ) ne fut pas en reste et répercuta largement cet appel en publiant un tract où il attire l'attention de la population " contre tous ceux qui ont intérêt à dresser les uns contre les autres musulmans et juifs marocains" et en précisant que : " Notre but vise uniquement la lutte contre le sionisme en faisant abstraction de tout ressentiment à l'égard de nos compatriotes juifs qui, au même titre que nous sont de nationalité marocaine, et comme nous, soumis à l'autorité du sultan (33)".

Il faut rappeler que le souci d'égalité entre juifs et musulmans est une affirmation constante du mouvement nationaliste. Déjà, en 1935, quand il a soumis son premier document de plan de réformes et ce, simultanément au chef du gouvernement français, Pierre Laval, au sultan et au résident général, il demandait entre autres, " la démocratisation de la vie publique par l'élection au suffrage universel, par les seuls Marocains, musulmans et israélites, de conseils municipaux et d'un Conseil national législatif. C'est, comme le note R. Assaraf, " la première fois qu'un document nationaliste place les deux communautés sur le même plan, celui –moderne- de l'égalité des droits civiques, sans distinction de religion (34)".

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Le Wifaq ou l'euphorie
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Avec l'indépendance, c'est une ambiance de confiance et même d'euphorie qui règne dans le pays. Les relations entre juifs et musulmans n'ont jamais atteint un tel degré d'entente. En février 1956, dans cette nouvelle dynamique générale, une organisation de dialogue judéo-musulman est créée par le parti de l' Istiqlal , le Wifaq (35)( l'entente), et beaucoup de juifs se mettent à apprendre l'arabe classique, c'est une redécouverte de leur marocanité. C'est ainsi que suite au départ des cadres français, ils occupent les postes de la haute administration marocaine, avec une première historique, le docteur Benzaquen est nommé ministre des PTT. Un ministre juif n'est pas une exception, il faut rappeler que dans le gouvernement de novembre 1993, le ministère du tourisme a été confié à Serge Berdugo. Les élites juives participent à l'édification d'un Maroc moderne et affirment partout cette volonté d'être partie prenante dans cette nouvelle expérience, à telle enseigne qu'on parle de " la symbiose andalouse (36)".

Partout, on constate une unité entre les deux communautés, même si unité ne signifie pas uniformité. Le souverain marocain est le garant de cette unité; il décide, le15 août 1957, de prendre le titre de roi du Maroc sous le nom de Mohammed V, abandonnant ainsi le titre désuet de "sultan de l'empire chérifien ". En recevant les représentants de la communauté juive de Casablanca, SM Mohammed V affirme qu'il veut les émanciper, même si le pays proclame l'Islam religion d'État, car le principe de l'égalité entre juifs et musulmans est un principe intangible. Les particularismes entre communautés doivent tomber, à l'exception de celui de la religion. Il n'y a pas des juifs et des musulmans, mais seulement des Marocains. Cette attitude résolument moderne fait dire à R. Assaraf : " S'agissant des juifs, le roi serait presque laïc... (37)".

A la mort de Mohammed V en février 1961, il reste, pour l'imaginaire collectif juif deux événements importants:

•  l'image d'un grand roi qui s'était opposé aux lois racistes de Vichy;

•  celui qui a fait des juifs des citoyens à part entière en 1956.

Pour tous les juifs, Mohammed V est un " Juste parmi les justes ". Le culte véritable que lui portent les juifs marocains n'a jamais été démenti ni par " les affres inévitables de la décolonisation, ni l'émigration de la quasi-totalité de la communauté marocaine et sa dispersion aux quatre coins du monde, depuis la fin des années quarante (38)". A cela, il faut ajouter l'image d'un homme de légende. Le deuil des juifs de Rabat est ainsi décrit : " la douleur des juifs fut accueillie avec une sympathie extrême par les musulmans, la nouvelle se répandit partout comme une traînée de poudre. Ce jour- là, le musulman pouvait dire au juif : " Tu es mon frère! (39)".

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Qu'en est-il aujourd'hui ?
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Malgré des événements extérieurs à la volonté des uns et des autres, des affinités légitimes et contradictoires et le fait de relever d'une fidélité multiple, la communauté juive marocaine a pu se maintenir. On compte aujourd'hui près d'un million de Juifs marocains répartis à travers le monde qui sont fiers de leurs racines, de leur attachement au Maroc et de leur fidélité au trône alaouite. Au-delà de tout, il demeure ce que H. Zafrani appelle une mémoire judéo-maghrébine marquée par une coexistence bimillénaire dont " l'écho résonne encore dans l'âme déracinée des immigrés; elle retentit dans leur musique et leur chant, leur folklore et leurs rites (...) Plus spécialement chez les émigrés établis en Israël, on le perçoit dans leur mal du pays, leurs regrets mélancoliques, leurs cris amers ou nostalgiques, leurs écrits violents ou discrets (40)". Il est évident que l'on ne peut pas gommer aisément une symbiose qui s'est réalisée au quotidien et qui a marqué profondément notre culture populaire qui ignore les frontières religieuses ou idéologiques.

Même si des juifs sont partis massivement et l'absence de frontière avec Israël, le Maroc a joué un rôle considérable dans le processus de recherche de la paix au Moyen-Orient que ce soit durant les préparatifs de la visite de Sadate en Israël en 1977 ou de l'ouverture des négociations officielles entre Israéliens et Palestiniens. Ce désir d'établir une atmosphère de paix et de confiance entre juifs et musulmans est largement reconnu, car avec l'affaire du Sahara (1975), les juifs marocains n'ont pas ménagé leurs efforts pour soutenir la cause marocaine auprès de leurs puissants coreligionnaires des États-Unis.

C'est ainsi que l'on note des tentatives sérieuses de remettre les pendules à l'heure menées par des groupes juifs, comme par exemple, "Identité et Dialogue" créé en 1976 à Paris par des intellectuels juifs marocains dont l'objectif est double :

•  Conservation et promotion de l'identité et de la mémoire juives marocaines;

•  Contribution au dialogue israélo-palestinien et à la réconciliation des mondes juif et musulman.

C'est une approche qui privilégie l'étude objective et scientifique de l'histoire de la communauté juive marocaine et qui exclue toute vision apologétique ou dramatique de cette histoire. Dès le début, les membres de ce groupe ont inscrit leur approche dans une logique du patrimoine national (marocain) et de sa cohérence. Ils ont éliminé l'approche de ceux qui, pour des raisons démagogiques ou par manque de précision, ont voulu récupérer le judaïsme marocain au service de leur propre gloriole, ou pour des raisons de basse politique ou bien mercantiles (41).

Il faut signaler également la fondation à Montréal, en octobre 1985, du Rassemblement mondial des juifs du Maroc dont l'objectif est le rapprochement entre le Maroc, les organisations juives mondiales et l'État d'Israël. Il faut rendre hommage à l'une des premières actions du Rassemblement et qui a consisté en l'inauguration d'une place Mohammed V dans la ville balnéaire israélienne d'Ashkélon en septembre 1986. Il a joué également un rôle prépondérant dans les préparatifs de la rencontre d'Ifrane, en juillet 1986, entre Hassan II et Shimon Pérès. Par cette initiative, le roi du Maroc a cassé définitivement les tabous qui pèsent sur les rencontres entre responsables arabes et israéliens.

A l'actif du Rassemblement, il faut ajouter la création, en 1995, d'un Centre International de Recherche sur les Juifs du Maroc (CRJM), avec bureaux à Rabat, Paris et Jérusalem.

Sur le plan islamo-chrétien, il faut mentionner l'existence du Groupe de Recherche Islamo-Chrétien (GRIC) qui fonctionne depuis 1977 et qui est né grâce à l'initiative d'un groupe d'amis soucieux de travailler ensemble, et d'une manière sereine, en vue de promouvoir le dialogue entre ces deux traditions (42).C'est ainsi que des groupes travaillent à Rabat, Tunis, Paris et Bruxelles et ont déjà publié ensemble quelques travaux.

En 1985, l'Académie du Royaume du Maroc a consacré sa session d'automne à : Un Trait d'union entre l'Orient et l'Occident : al-Ghazzali et Ibn Maymoun. De son côté, le Conseil des Communautés Israélites du Maroc a célébré, en décembre1986, le 850è anniversaire de la naissance de Maïmonide.

En août 1986, Sa Sainteté le Pape Jean Paul II a rendu visite au Maroc sur invitation de SM Hassan II. C'était la première visite de Sa Sainteté à un pays musulman, dans le but de renforcer le dialogue entre les deux religions, et SM avait tenu à ce que Sa Sainteté s'adresse aux jeunes. L'un des moments forts du discours du Saint Père est lorsqu'il a souligné la nécessité, aujourd'hui, du dialogue entre chrétiens et musulmans, car, dit-il, " il découle de notre fidélité envers Dieu " et il ajouta : " Ce témoignage de la foi, qui est vital pour nous, et qui ne saurait souffrir, ni infidélité à Dieu, ni indifférence à la vérité, se fait dans le respect des autres traditions religieuses, car tout homme attend d'être respecté pour ce qu'il est, de fait, et pour ce qu'il croit, en conscience ".

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En guise de conclusion
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Même si par le passé les relations entre " les fils d'Abraham " obéissaient à une logique de conflits et de tensions, il faut rappeler que beaucoup de liens pacifiques et amicaux ont caractérisé ces différentes époques (43). L'âge d'or des relations judéo-arabes ne doit pas rester à l'état de nostalgie. Ce que nos ancêtres ont pu réaliser par le passé, il ne tient qu'à nous de nous montrer leurs dignes successeurs pour édifier un nouvel âge d'or de la coexistence entre les peuples. Dans ce sens, il faut souligner l'importance que revêt pour notre sujet la brillante thèse de Doctorat en Droit soutenue par le Prince Héritier Sidi Mohammed, devant l'Université de Nice et publiée sous le titre : La coopération entre l'Union européenne et les pays du Maghreb arabe.

A travers les différentes expériences mentionnées ci-dessus, on constate que le dialogue est à dimension bilatérale : rencontres entre musulmans et juifs ou entre Musulmans et Chrétiens. Or le Maroc abrite toute la tradition abrahamique, et par conséquent, on doit instaurer un dialogue multilatéral réunissant tous les enfants d'Abraham. Ce dialogue doit être libéré et libérateur, en vue de revaloriser un passé commun et construire un avenir où chacun se retrouve dans son identité réconcilié avec lui-même et réconcilié avec l'autre.

 

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Notes
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(1) Encyclopædia Universalis, 1998, France , article Afrique du Nord.

(2) Ces éléments sont empruntés à H. Teissier, Histoire des Chrétiens en Afrique du Nord, Desclée, 1991et à la brochure Le Pape Jean Paul II au Maroc, Casablanca 19 Août 1985, ( éditée par l'Archevêché de Rabat).

(3) Ce père était tellement apprécié par les populations musulmanes que lors de sa mort, en 1896, il fallut mettre une garde permanente près de son sépulcre, car le considérant comme l'un de leurs saints, les musulmans essayaient d'enlever sa dépouille. Cf. R. Lourido Diaz et G. Martinet, Les Mutations de l'Église au Maroc au XXè siècle, in H. Teissier , Op.cit. , p. 141.

(4) Averroès (1126-1198), in Regards sur l'Islam, Publ. Des Annales de la Faculté des Lettres, Aix-en-Provence, 1965, p.175.

(5) Cf. al-Mu'jib fi akhbar al-Maghrib, Casablanca, Dar al-Kitab, 1978, p. 353-354. Cf. également M. Fakhry, A history of Islamic Philosophy, new York, Columbia University Press, 2 nd edition, 1983.

(6) Cf. M. Fakhry, op.cit., P. 274.

(7) Sur ce personnage cf. E. Kantorowicz; L'empereur Frédéric II, Gallimard, Bibliothèque des Histoires, 1987

(8) Cf. al-Kalam 'ala al-Masa'il al Siqqilliyya, édité par S. Yaltkaya, Beyrouth, Imprimerie catholique, 1941.

(9) Cf. H. Corbin, avant-propos, al-Kalam ala al-Masa'il..., P.1.

(10) Encyclopædia Universalis, 1998 , article Andalousie.

(11) Id., article Espagne, Des Wisigoths aux Rois catholiques.

(12) G. Camps, R éflexion sur l'origine des Juifs des régions nord-sahariennes , in M. Abitbol (éd.), cité par M. Kenbib, Juifs et Musulmans au Maroc, 1859-1948 , Publications de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines –Rabat, 1994, p.14.

(13) Maïmonide et l'Histoire du Judaïsme marocain, in Maïmonide, Conseil des Communautés Israélites du Maroc, Casablanca, 1987, p. 91.

(14) A. Sasson, Conclusions et réflexions sur l'actualité de Maïmonide, in Maïmonide, Casablanca, 1987, p. 113.

(15) Cité in. S. Lévy, op. cit ., p. 89.

(16) Id. pp.83-84

(17) Concernant ces deux groupes ethniques, cf. notamment, H. Zafrani, Mille ans de vie juive au Maroc, Maisonneuve & Larose, 1983 et M. Kenbib, op. cit.

(18) H. Zafrani, op. cit., p.10.

(19) Cf. Coran, V, 5 : " l'union avec les femmes croyantes et de bonnes conditions (...) faisant partie du peuple auquel le Livre a été donné avant vous, vous est permise".

(20) Cf. par ex. Coran, 24, 55.

(21) " Oh vous, les hommes! Nous vous avons créés d'un mâle et d'une femelle. Nous vous avons constitués en peuples et tribus pour que vous vous connaissiez entre vous"(Coran, 49,13).

(22) "Aucun de vous ne sera vraiment un croyant tant qu'il n'aime pas pour son prochain ce qu'il aime pour lui-même ", al-Ghazzali, dans son Ihya' 'Ulum al-din, a consacré tout un livre à l'amour ( al-mahabba).

(23) Abu D ª w ñ d, Sunan, 19 (Imara), 33.

(24) Ce texte est présenté et traduit, notamment, par W.M. Watt in Mahomet à Médine, Payothèque, 1977, pp.267-275.

(25) Le mot Qist revient souvent dans le Coran pour rappeler l'exactitude dans les poids et les mesures, mais il a également une signification éthique : équité des relations humaines, cf. IV, 135.

(26) Discours adressé par Sidi Mohammed aux notables israélites venus lui présenter leurs vœux à l'occasion de la fête du Trône, le 18 novembre 1943, cit. in Assaraf, op. cit ., p.175.

(27) Robert Assaraf, Mohammed V et les Juifs du Maroc à l'époque de Vichy, Plon, 1977, pp. 132-133.

(28) R. Assaraf, op. cit ., p. 133.

(29) Id., 147.

(30) Id., p.157.

(31) Id., p. 161.

(32) Id., p. 210.

(33) Id., p.185. Il faut signaler qu'un autre mouvement, dans le Nord du Maroc, le Parti Démocratique pour l'Indépendance (PDI) faisant allègrement l'amalgame entre juif et sioniste. C'était peut-être là une stratégie pour combattre son ennemi, le Parti de l'Istiqlal.

(34) Op., cit., p.93.

(35) Cf. H. Zafrani, op.cit., p. 295.

(36) D'après l'écrivain Victor Malka, " Il ne s'agit ni plus ni moins que de faire revivre" la symbiose andalouse ", cité in R. Assaraf, op.cit., p.233 .

(37) Op. cit., p. 237.

(38) M. Abitbol, in R. Assaraf, op.cit., p.9.

(39) Elharar-Harari, Histoire des juifs du Maghreb, cité par R. Assaraf, op. cit., p.265.

(40) Op. cit., p. 301.

 (41) cf. A. Azoulay, Préface à M. Kenbib, Yah ñ d al-Maghrib, 19128-1948, pp.11-12, trad. I. Bensaïd, Publications de la Faculté des Lettres de Rabat, 1998.

 (42) Cf. Ces Écritures qui nous questionnent la Bible et le Coran , Le Centurion, 1987. Pour une présentation générale du GRIC, cf. Islamochristiana (Rome, PISAI), N°4, 1978. Cette revue publie chaque année un compte rendu des travaux du GRIC.

(43) Cf. F. Gabrielli, Chroniques Arabes des Croisades, Sindbad, 1977.

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